Nous savons aujourd’hui que le stress, chez l’adulte, est un facteur de risque de maladies cardiovasculaires. Mais que sait-on des liens pouvant exister entre le stress vécu dans l’enfance, et la survenue de ces maladies à l’âge adulte ? Les expériences négatives de l’enfance peuvent-elles en favoriser le développement ultérieur ? Et qu’en est-il précisément pour l’infarctus du myocarde ?
De nombreuses recherches ont été menées ces trente dernières années pour répondre à ces questions. Mais avant de présenter leurs résultats, rappelons brièvement ce que recouvre la notion d’expériences adverses vécues dans l’enfance (ACEs).
D’une façon générale, les ACEs correspondent à des événements particulièrement stressants, voire potentiellement traumatiques, auxquels une personne est confrontée durant ses dix-huit premières années d’existence. On y range notamment les maltraitances (violences sexuelles, maltraitance physique et psychologique), le vécu dans un foyer dont un parent/adulte a été incarcéré, ou bien souffre de troubles psychiques ou d’abus de substances (alcool, drogues), ou encore le fait d’avoir été confronté à la séparation des parents, la violence conjugale, ou d’autres formes de violences (par exemple le harcèlement).
Des liens significatifs
Plusieurs équipes scientifiques se sont penchées sur les liens pouvant exister entre ACEs et maladies cardiovasculaires à l’âge adulte – et notre équipe a récemment publié une revue de synthèse sur la question de l’infarctus du myocarde.
Ces recherches font état d’associations significatives avec plusieurs types d’expériences adverses de l’enfance. Ainsi, pas moins de six études ont noté l’existence d’un risque d’infarctus du myocarde accru par les violences sexuelles subies pendant l’enfance (l’Odds Ratio varie de 1.4 à 3.5).
Ces études et d’autres ont également mis en avant un risque accru par les violences physiques (OR de 1.41 à 2.06), la maltraitance psychologique (OR de 1.5), une négligence physique et/ou émotionnelle (OR de 1.3 à 5.7 pour les femmes), ou encore le fait d’avoir vécu dans un foyer sujet aux violences domestiques, aux troubles psychiques d’un adulte ou à l’abus de substances (OR de 1.3 à 1.4).
Sans surprise, le cumul de plusieurs ACEs est d’autant plus risqué : d’après une méta-analyse que notre équipe (APEMAC/EPSAM EA 4360) a conduite sur neuf études, et qui devrait être prochainement publiée, l’existence de quatre ACEs (et plus) augmenterait de 88 % le risque ultérieur d’infarctus du myocarde, par rapport à des jeunes n’ayant été exposés à aucune de ces situations avant 18 ans.
Troubles psychiques et comportements à risque
Comment expliquer les liens entre expériences adverses de l’enfance et maladies cardiovasculaires à l’âge adulte ?
Plusieurs équipes scientifiques mettent en cause le développement de troubles psychiques tels que la dépression, l’anxiété et le trouble de stress post-traumatique. Cette possible étiologie repose sur un constat : les personnes ayant été exposées précocement à des expériences négatives présentent en effet davantage de troubles psychologiques que celles n’ayant rien vécu de tel. Mais par quels mécanismes ces troubles peuvent-ils impacter la santé cardiovasculaire ?
Il semble d’abord que la dépression, l’anxiété, ou encore le trouble de stress post-traumatique (TSPT) soient associés à une activation excessive du système nerveux sympathique (SNS), dont la fonction est de préparer l’organisme à l’action (fuite/combat) en réponse au stress. De plus, les personnes très anxieuses ou déprimées présentent une hyperactivation de l’axe hypothalamo-hypophyso-surrénalien (HHS), qui contrôle les réponses au stress.
Ces deux activations se traduisent par une libération accrue de composés (catécholamines et cortisol) qui, sur le long terme, peuvent avoir des effets délétères favorisant l’athérosclérose et le développement et/ou la progression des maladies coronariennes. Et la prise de certains médicaments à visée antipsychotique, anxiolytique ou antidépressive pourrait par ailleurs augmenter le risque de maladies cardiaques ischémiques.
Enfin, dans l’espoir de réduire leur mal-être, les personnes déprimées ou très anxieuses ont tendance à adopter des comportements dommageables pour leur santé cardiovasculaire. Or précisément, on a pu constater en cas d’ACEs un certain nombre de ces comportements comme le tabagisme, la consommation importante d’alcool ou d’autres substances psychoactives, ou encore la sédentarité.
Tabagisme, alcoolisme et sédentarité participent à l’augmentation du risque d’hypertension artérielle. Mais ils sont également associés à la survenue de maladies métaboliques – comme le diabète et l’obésité – ou encore à un indice de masse corporelle élevé, c’est-à-dire à des facteurs de risque de maladies cardiovasculaires.
Un développement cérébral altéré ?
Dans une étude conduite au Canada il y a quelques années, l’infarctus du myocarde se révélait plus fréquent chez les hommes ayant été victimes d’abus sexuels dans l’enfance que chez ceux n’en ayant pas souffert. Et ce, pour des facteurs de risque cardiovasculaire (tabagisme, sédentarité, etc.) et un état de santé psychique (anxiété, dépression) comparables.
Un tel constat a également été établi vis-à-vis de la maltraitance dans l’enfance. Toujours à facteurs de risque comparables pour la santé cardiovasculaire et psychique, les adultes ayant souffert de violences physiques dans l’enfance étaient plus souvent victimes d’infarctus du myocarde que les personnes n’ayant pas souffert de ces maltraitances.
Au vu de ces résultats, les troubles psychiques et les comportements à risque pour la santé cardiovasculaire ne sont donc pas seuls en cause dans le risque accru d’infarctus du myocarde chez les victimes d’ACEs. Et parmi les autres pistes d’explication, plusieurs études suggèrent un impact sur le développement cérébral.
Plus précisément, l’exposition précoce à la violence pourrait avoir des répercussions sur des régions cérébrales en plein développement durant l’enfance et l’adolescence. Notamment (mais pas uniquement) sur celles qui sont impliquées dans la gestion des émotions, la détection des situations menaçantes dans l’environnement, et la régulation du stress.
On note ainsi, en imagerie cérébrale, des réductions du volume de l’amygdale et de l’hippocampe pouvant impacter les réponses au stress. Et la diminution de volume de l’amygdale pourrait induire en cas de stress une réactivité physiologique accrue : la présentation d’images sociales négatives, de visages en colère, ou apeurés, suscite d’ailleurs une activation de l’amygdale plus importante chez les enfants victimes de violences. Or à l’âge adulte, cette hypersensibilité au stress, parce qu’elle entraîne une forme d’usure de l’organisme, pourrait endommager le système cardiovasculaire.
Outre les pistes que nous venons d’évoquer, ajoutons-en une dernière. Sans entrer dans le détail, rappelons qu’il est aujourd’hui bien établi que l’organisme ne dépend pas uniquement de son héritage génétique, mais aussi de paramètres environnementaux pouvant agir sur ses gènes. En modifiant l’expression de gènes, le stress lié aux violences subies dans l’enfance pourrait ainsi accroître la vulnérabilité à certaines maladies à l’âge adulte.
Des enquêtes à développer
Si de vastes enquêtes sont aujourd’hui menées aux États-Unis, au Canada, au Royaume-Uni ou encore en Allemagne pour mieux comprendre les liens entre ACEs et santé cardiovasculaire, il n’en existe pas de cette envergure en France. Ce champ d’études aurait pourtant tout intérêt à se développer, s’agissant de mieux appréhender l’étiologie des pathologies cardiaques…
Rappelons que chaque année, en France, ce sont près de 90 000 personnes qui sont victimes d’un infarctus du myocarde. Par ailleurs, un sondage conduit en 2017 auprès d’un échantillon représentatif de Français âgés de 18 ans et plus nous apprenait que près d’une personne sur quatre (22 %) dit avoir été victime de maltraitance (viol, attouchement sexuel, coups, de menaces, d’insultes, d’absence de soins et/ou d’hygiène) durant son enfance.
Voilà trois ans, un article publié au nom de l’American Heart Association passait en revue la littérature scientifique sur l’influence des ACEs en termes de maladies cardiaques et métaboliques, ces pathologies constituant un véritable enjeu de santé publique aux États-Unis. Or ses auteurs insistaient sur la nécessité d’une prise en compte systématique des ACEs par les praticiens comme par les chercheurs du domaine de l’enfance et de la cardiologie. Un message que nous souhaitons faire passer.
Cyril Tarquinio, Professeur de psychologie clinique, Université de Lorraine; Camille Louise Tarquinio, Doctorante en Psychologie, Université de Lorraine et Murielle Jacquet-Smailovic, Psychologue, Université de Lorraine
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.